LA PRESSE, MONTRÉAL, MARDI 13 DÉCEMBRE 1983

 

Chronique Scientifique : les caleçons thermos

 

Nous vivons des temps fabuleux, je ne me lasse pas de vous en féliciter. Et aujourd'hui, je félicite, tout particulièrement, le Dr Pierre Dongier qui expérimente présentement, sur lui-même et quelques amis, une petite culotte contraceptive dont les journaux ont dit le plus grand bien, la semaine dernière... Ladite culotte, en gardant les testicules au chaud réduit la production du sperme, d'une part, et le nombre et la vigueur des spermatozoïdes, d'autre part.

Conçue sur le principe de l'autocuiseur, du type Presto à légumes, cette petite culotte garde la vapeur par en dedans. L'unique modèle actuellement disponible, se présente exactement comme une petite culotte ordinaire, sauf qu'au lieu d'être en coton, elle est en aluminium, renforcé d'un bourrelet d'amiante aux ouvertures de la taille et des cuisses. Sur le devant, il y a un bouchon en verre, comme on en trouve sur les scaphandres ou encore sur les anciens pots de confiture, avec un fermoir à ressort et une rondelle de caoutchouc pour que ce soit bien hermétique.

Évidemment, tout cela est encore bien artisanal, et, si vous me permettez, plus anal qu'artiste. C'est aussi très lourd et encombrant. Mais rappelons que l'invention n'en est qu'à son stade expérimental... On est d'ailleurs à concevoir un autre modèle de ce caleçon qui, cette fois, plutôt que de s'inspirer du Presto à légumes, s'inspirera du four micro-ondes à batteries. Une petite antenne érectile, fixée dans le chapeau du patient, recevra les ordres d'un mini-ordinateur, attaché en arrière de son genou. Le seul détail qui reste à régler, c'est : où est-ce qu'on lui met les piles ? Oui, oui, je sais bien, mais avouez que ce n'est pas très pratique pour s'asseoir !

Qu'importe le modèle qu'on adoptera finalement, il y a quelque chose qui me chicote, dans le principe même de cette invention. La question que je me pose est la suivante : en quoi la chaleur est-elle réellement contraceptive ? Et si elle l'est, comment se fait-il que dans les régions les plus équatoriales du globe, au Congo par exemple, où les testicules sont soumis à des températures de 82 celcius à l'ombre, donc, tout près du point d'ébullition, comment se fait-il que les Noirs du coin aient toujours plein de petits négrillons dans les bras, sans compter ceux qu'ils portent sur le dos, sans parler des plus grands qu'ils ont dans les jambes, et qui, comme tous les enfants du monde, posent des questions niaiseuses : " Est-ce v'ai maman que les petits ga'çons blancs mettent des caleçons he'métiquement fe'més ? Oulàlà, ça doit pas senti'bon ! "

Mais voilà qu'un de mes amis météorologues, Alcide Bouin, de Radio-Canada, me fait remarquer que les nuits sont très froides à Ouagadougou - qui n'est pas au Congo, certes - mais ça expliquerait quand même le taux élevé de naissances, malgré la chaleur ambiante du jour. Et ça expliquerait aussi, la phrase célèbre, et néanmoins mystérieuse : " Il est minuit, Docteur Schweitzer ! ". En effet, sous les tropiques, il faut compter quatre heures, après le coucher du soleil, pour que le testicule refroidisse et retrouve son fonctionnement normal. Comme le soleil se couche vers huit heures du soir, on comprend mieux, maintenant, ce que la bonne du docteur Schweitzer voulait dire, la salope, en gueulant à travers la maison : " Il est minuit docteur Schweitzer, lalalêreu..."

Mais revenons au principe de base. Il y a autre chose que je ne comprends pas. À quoi ça sert de porter un caleçon spécial pour se garder les testicules au chaud, sous prétexte que la chaleur neutralise les spermatozoïdes ? À quoi ça sert, puisque, pour accomplir l'évacuation et surtout la transmission de ses spermatozoïdes dans un sujet femelle, il faudra nécessairement l'ôter ce maudit caleçon, spécial ou non ! À moins queue... ce soit justement là l'astuce, cette culotte n'étant, au fond, qu'une simple ceinture de chasteté. Le mode d'emploi stipulant que pour ne pas faire d'enfants, il suffirait de ne pas l'enlever !

En attendant, c'est tout le discours amoureux qui aura glissé sur le sofa du salon, les rôles étant maintenant inversés, à cause de ce maudit caleçon... Avant c'était la fille qui disait : " Attention v'là maman " ; c'est maintenant le garçon qui prévient : " Ôte ta main, ça fait du vent "...

Allons-y pour une dernière question que soulève cette invention. Si la chaleur tue les spermatozoïdes, peut-on dire, qu'inversement, le froid les rend plus vigoureux ? C'est là, du moins, la déduction un peu hâtive qu'ont faite Rita et Lucien, un couple de mes amis, qui se désespèrent, depuis longtemps, de ne pas avoir d'enfants... Imaginez qu'ils se sont mis en tête de baiser devant le réfrigérateur, dont ils avaient laissé la porte ouverte, ainsi que celle du congélateur. Ils n'ont pas fait d'enfant, mais ils ont attrapé la grippe. Sans parler du beurre qui a ramolli et de la dinde qui a dégelé, ils ont été obligés de la manger. " C'est plate, m'a dit Lucien, on se la gardait pour le réveillon. " Après cet échec, ils se sont essayé dehors, dans la ruelle. Ça n'a pas été, non plus, un succès. Il paraît que sous le point de congélation, les testicules prennent les couleurs de l'arc-en-ciel. " C'est un peu punk, mais très décoratif ! " a apprécié Rita. " Peut-être, mais ce n'est plus de mon âge " a protesté Lucien, qui est un peut conservateur pour ce qui touche à sa toilette.

De là à prétendre que le docteur Dongier n'a fait que nous échauffer les oreilles avec son caleçon thermos ( comme le suggérait une caricature récente de Girerd ) il n'y a qu'un pas que je me refuse à franchir, d'abord par respect de la science. Mais aussi parce que, après tout, les recherches du docteur ne font de mal à personne, puisqu'il les expérimente sur lui-même et sur quelques-uns de ses amis, adultes et consentants, j'imagine...

N'empêche qu'entre nous, on peut bien le dire, ce n'est pas très clair, et peut-être pas très hygiénique cette histoire d'expérimentation sur une base amicale et volontaire. La nouvelle telle que transmise par l'agence Presse Canadienne, disait exactement : " L'expérience que Pierre Dongier et ses amis mènent sur eux-mêmes "... Comment ça sur eux-mêmes ? Ça leur prend tout de même bien, quelque part, un cobaye femelle pour vérifier, en dernière analyse, l'efficacité de leur caleçon contraceptif...

Et il ça ne marchait pas ? Un pépin, un impondérable, je ne sais pas moi... Tiens, si au moment crucial, le savant allait attraper froid ? Comment la maman expliquera ça à son enfant, lorsqu'il sera grand et qu'il demandera : " C'est qui mon père ? " J'entends d'ici la réponse de la pauvre mère célibataire : " Hélas, hélas, tu es l'enfant d'un courant d'air "...