LA PRESSE, MONTRÉAL, MARDI 10 AOÛT 1982
Les quarante fautes
Pas loin de 400 personnes en comptant les lettres que j'ai corrigées au... téléphone ! Parfaitement au téléphone ! Vendredi, une bonne vingtaine de retardataires m'ont appelé :
- Vous ne recevrez pas ma copie à temps, comment faire ?
- Épelez, je vous avertirai quand vous aurez plus de cinq fautes... Heureusement, ça n'allait généralement pas plus loin que le premier paragraphe. Et toute la journée des lecteurs ont livré eux-mêmes leur copie, d'autres me l'ont fait parvenir par courrier spécial... je n'en voyais plus la fin !
J'étais pourtant certain que la difficulté du jeu vous rebuterait. Tout au contraire, elle semble vous avoir provoqués. L'aveu tout sourire d'une lectrice de Montréal, Mme Michèle Fairfield, résume assez bien le sens des nombreux commentaires qui accompagnaient vos copies... " Cette dictée, raconte Mme Fairfield, a meublé mes moments libres pendant deux semaines. J'en ai rêvé. Je m'éveillais en sueurs, perdue dans des dédales de subtilités grammaticales sournoises, assaillie de toutes parts par des participes passés, ridiculisée par des verbes irréguliers, en train de me noyer dans une mer de cistes, de thyrses et autres monstres semblables. Y'a même un myrte qui a réussi à me faire une jambette... "
Eh bien ça n'a pas suffit madame Fairfield ! Vous êtes dans la bonne moyenne avec cinq erreurs, mais vous êtes loin de la meilleure copie qui elle-même n'est pas parfaite... Eh non !... je n'ai pas reçu une seule copie parfaite sur 400 réponses !
Mais d'abord quelques petites précisions, avant de passer à l'original et aux résultats proprement dits... Il y avait bien quarante fautes dans le texte que je vous proposais, cependant, prévoyant des égalités, j'ai rajouté à la dernière minute deux fautes qui n'en sont pas en regard de l'usage, mais qui en sont en regard de l'original, signé je vous le rappelle, par l'académicien Maurice Druon. C'est ainsi que j'ai écrit " esbrouffe " avec deux " f " tel que l'autorise le dictionnaire Bélisle, alors que la plupart des dictionnaires tout comme Druon n'en admettent qu'un. De même pour " contrordre " qui s'écrit, aussi contrordre... Je me disais que ces deux pièges supplémentaires me permettraient de départager les éventuels petits malins qui trouveraient les quarante autres erreurs. Ce que je n'avais pas prévu c'est qu'à peu près tout le monde a rectifié " esbroufe " et " contrordre " tels qu'ils sont dans l'original. Mais vous les avez aussi comptabilisés, ce qui a peut-être empêché de chercher plus loin les deux autres vraies erreurs qui vous manquaient... Ça ce n'était pas voulu ! Je m'excuse donc... Et de grâce ne me faites pas de scène, de toute façon c'est en faisant des fautes là où il n'y en avait pas que vous vous êtes coulés, en particulier à " excellent ", ( c'était l'adjectif et non le participe présent ), à " au temps " et non " autant ", à " arien ", à " à l'entour ", etc..., etc...
La faute la plus répandue : " qui convînt ", avec un chapeau sur le î, en concordance avec l'imparfait du subjonctif de " tombât-il "...
Mais voyez donc vous-mêmes. Voici l'original avec les fautes ( en italique ) corrigées ( en gras )...
***
Nous parcourions, à l'entour des Baux-de-Provence, le pays baussenc où de tous (tout) temps se sont succédés (succédé) les poètes occitans. En quête d'un mas, tomba-t-il (tombât-il) en ruines (ruine), qui convint (convînt) à nos ressources pécuniaires, nous nous étions assurés (assuré) l'aide d'un autochtone fringant, excellent, selon les ouï-dire et autres on-dit, aux affaires extravagantes, tel (tels) le drainage des résurgences dans les zones aquifères et l'asepsie des entreprises séricicoles. Nous croyions en l'effet convaincant de son esbrouffe (esbroufe) et se son bagoût (bagou) pour le cas où nous lourions (louerions) un gite (gîte) et conclurions un bail amphytéotique (emphytéotique).
Le quidam nous mena, de cîmes (cimes) en thalwegs, jusque, dans un vallonnement, au diable vauvert, où naguère il avait chassé à vau-vent, et où croissaient yeuses, myrtes et cytises, et des cistes agripés (agrippés) au roc schisteux, et même un marronnier-d'Inde (marronnier d'Inde) aux thyrses violacées (violacés) ou amarantes(amarante).
Un bâtiment décrépi s'élevait sur un terre-plein jonché de tuileaux roses-pâles (rose pâle) et de faîtières ébrèchées (ébréchées). Une vieille catarrheuse, sans appâts (appas) mais non sans acné, portant bésicles (besicles), sarrau dégrafé et socques cloutées (cloutés), entrebailla (entrebâilla) l'huis et nous invita, d'un sourire auquel manquait (manquaient) trois dents, à pénétrer dans une salle toute (tout) abimée (abîmée) communiquant de plain-pieds (plain-pied) avec des absidioles décorées de tableaux religieux pendus là comme des ex-voto.
1Dans l'office contigüe (contiguë), la malpeignée nourrissait une chèvre bréhaigne, deux agneaux nouveaux-nés (nouveau-nés) couchés sur des bat-flanc, un jars, un verrat et quelques canards-d'Inde (canards d'Inde).
- Cette métairie, nous expliqua-t-elle d'une voix toute (tout) heureuse, date des époques même (mêmes) des schismes ariens. Je la tiens de feue (feu) ma trisaïeule
2 qui s'en était arrogé les droits en avance d'hoirie. Je me suis constituée (constitué) une retraite par la cession sous seing privé de la nue-propriété : un bailleur de fonds, ancien quincailler (quincallier) du baillage (bailliage), est depuis quelques (quelque) temps mon débirentier.- Au temps pour moi, dit notre gardian, les yeux dessilés sur le champ (sur-le-champ).
Contrecarré (contrecarrés) par le plus de contre-temps (contretemps) et contre-ordres (ou contrordres) possibles (possible), nous quittâmes ce repaire de cathares.
1
et 2 - Comme me l'ont fait remarquer deux lecteurs qui ont trouvé le texte original ( et ont eu l'honnêteté de ne pas participer ) j'ai modifié en deux endroits le texte de M. Druon qui disait : " des absidiole décorées d'haltères noirs, pendus là, etc ... ", et plus loin, " feu ma trisaïeule la diaconesse ", j'ai biffé " diaconesse ", je trouvais que c'était suffisamment barbare de même ! ...NB - Comme je sens venir des chicanes je précise tout de suite que je n'ai pas compté de faute à ceux qui ont écrit, batout avec un " t ". Non plus à ceux qui ont écrit " telles " dans le premier paragraphe... Pour ce qui est de décrépi, le sens de la phrase indiquait qu'il s'agissait d'un bâtiment qui avait perdu son crépi et non d'une ruine... En réponse à de nombreux lecteurs : " baussenc " est emprunté à la langue d'oc. Je n'ai pas tenu rigueur à ceux qui l'ont orthographié différemment, non plus à ceux qui se sont mêlés de mettre des majuscules à Vauvert et Cathares... Rose pâle ne comptait que pour une seule faute...
***
Je disais donc : pas une seule copie parfaite sur 400 ! ... Et une seule copie avec une seule erreur... celle signée conjointement par Martine Brassard et Mireille Côté d'Outremont. Elles ont corrigé les 40 fautes, plus esbroufe et contrordres... mais elles en ont commis une à " excellent " qu'elles ont pris pour un participe présent... ce qui n'est pas si bête réflexion faite, sauf que Druon lui, tient à l'adjectif... Au fait, laquelle des deux viendra souper ?... À moins que vous ne préfériez souper ensemble et m'envoyer la facture ?
En deuxième place, Mme Hélène Dion de Lorraine, avec la même faute à " excellent "... mais avec un accent sur " besicles " en plus... dommage madame, la drôlerie de votre lettre m'avait mis en appétit. Deuxièmes également, " les copines - anonymes - du 75 ouest ", avec encore la même erreur à " excellent "... et à " manquait "... bon, impardonnable celle-là, où avez-vous pris cette histoire de sujet réel et de sujet apparent ? Ici ce sont les dents qui manquaient, c'est évident, non ?
Avec trois erreurs viennent ensuite madame Rose Bernier de Frelighsburg, André Lamoureux de St-Jérôme, Gisèle Laramée de Montréal, Marguerite Marchand de St-Antoine-des-Laurentides, Nicole Pichot de Brossard et enfin M. Alain Chalifoux de Montréal qui est passé tout près d'une copie parfaite ayant évité le piège " d'excellent " mais est allé mettre un trait d'union à rose pâle, un accent sur le premier " e " de " dessilés " et même un " s " à sur-le-champs... je vous demande un peu !...
***
En terminant, je remercie tous ceux et celles ( plus de la moitié ) qui ont pris la peine d'ajouter un petit mot, souvent savoureux, à leur copie. Ce petit mot, est-ce bien utile de le préciser, a considérablement allégé la fastidieuse corvée des corrections... Et j'ai découvert par la même occasion, que depuis deux ans, cette chronique avait établi des liens d'une qualité que je ne soupçonnais peut-être pas... J'en reparlerai dans un prochain courrier du genou...